LES
LANGUES DE CHINE
La
Chine, on le sait, est un très vaste pays. Au nord, elle s’ouvre sur la
Sibérie, au Sud sur le delta de Hanoi ; le Pacifique baigne sa côte
orientale, à l’Ouest, son désert débouche sur les vallées du Pakistan. Les
frontières actuelles de cet immense empire résultent d’une longue histoire mais
sont stables depuis le dix-septième siècle (voir notre rubrique
« histoire »). Néanmoins, à la différence de la France où l’usage
quotidien des langues régionales a, pour l’essentiel, disparu, en Chine, la
diversité des langues reste très réelle. Elle est pour partie liée au caractère
multinational d'un pays qui pratique une politique de
la nationalité très différente de la nôtre.
1
– Les nationalités chinoises
Il
est difficile de comprendre la diversité linguistique actuelle de la Chine sans
faire appel au droit de la nationalité. La Chine, en effet, pratique un droit
de la nationalité en quelque sorte double : le droit du sol définit la
citoyenneté chinoise, le droit du sang détermine l’appartenance à une « ethnie »
(minzu 民 族
nationality en anglais ) terme que nous
choisissons de traduire par « peuple » au sens du « peuple
corse » par exemple.
Affichage
bilingue à Yanji – chef lieu de la préfecture autonome coréenne de Yanbian -
Jilin Photo AFCPS
La
citoyenneté chinoise est automatiquement acquise à la naissance quand un des
parents au moins est chinois. Elle est exclusive (la double nationalité, par
exemple franco-chinoise, est interdite). Quant à l’appartenance à un
« peuple », elle est déclarative et assez extensive : tous ceux dont
un grand-père au moins est issu d’un « peuple minoritaire» (shaoshu
minzu 少 数
民
族)
peuvent demander à relever de cette
« ethnie ».
Ceux
qui ne peuvent ou ne veulent faire ce choix relèvent de la nationalité
majoritaire : les Han, c’est-à-dire ceux auxquels nous pensons quand nous
disons « le peuple chinois ». Ils représentent 92% de la population
de la Chine. Mais, compte tenu de l’importance de cette population, les 55
autres nationalités comptent malgré tout plus de cent millions de personnes réparties
entre des groupes de quelques millions de personnes (les Zhuang, les Mongols,
les Ouighours, les Tibétains, les Mongols) et d’autres de seulement quelques milliers,
selon les chiffres disponibles (dans la mesure du possible nous utilisons le recensement de 2020).
En
vertu de l’article 4 de la constitution de la République populaire de Chine
« Toutes les
nationalités jouissent de la liberté d'utiliser et de développer leur langue et
leur écriture ». Pour
deux de ces peuples, ce droit n’a plus de sens : la langue a disparu.
C’est le cas des mandchous (14 millions au recensement de 2020) dont les
ancêtres, après avoir conquis la Chine, ont adopté la langue et la
culture « han » et c’est aussi le cas des Hui (12,7 millions), descendants des marchands musulmans de
la Route de la Soie qui avaient le droit de pratiquer librement leur religion à
condition d’apprendre le chinois et d’épouser une chinoise et qui aujourd’hui
ne se distinguent des « han » que par la religion musulmane qu’ils
pratiquent.
Mais les 53 minorités nationales restantes
font vivre des dizaines de langues (on en recenserait 81) et utilisent, le cas
échéant, les écritures qui y sont liées, 27 au total.
2 – Les langues des minorités nationales
Un grand nombre de ces langues sont
parlées dans les provinces périphériques qui peuvent avoir le statut de région
autonome ou qui incluent des subdivisions autonomes (préfectures et comtés) au
sein d’une région. Selon la constitution chinoise, l’autonomie permet notamment
d’administrer « de façon indépendante dans leurs régions respectives
l’éducation, les sciences, la culture, la santé publique et les sports» (art.
119) et suppose que « dans l’exercice de leur fonction, les
organes d’administration autonome des régions d’autonomie nationale emploient, conformément
aux règlements autonomes de leurs régions respectives la ou les langues parlées ou écrites
localement » (art. 121). Ce dernier point est sans doute le plus
difficile à mettre effectivement en œuvre du fait, notamment, du nombre de
fonctionnaires « han » ne parlant pas ou peu les langues locales.
Ces
dernières, on l’a vu sont très nombreuses ; les recherches actuelles
tendent à considérer qu’elles relèveraient de quatre très grandes familles
linguistiques comparables à la famille indo-européenne.
Au
Nord, si l’on s’en tient aux principales nationalités, c’est la famille des
langues altaïques qui domine. Tout à l’ouest, au Xinjiang, on parle les langues
d’Asie centrale c’est-à-dire pour l’essentiel des langues turques (en marron
sur la carte) : le kazakh (1 sur la carte plus d’1,2 million de personnes en
2010) et surtout le ouighour (2 sur la carte 10 millions en 2020). Mais on
trouve aussi la nationalité kirghize (3 sur la carte 0,16 million en 2010 ).
Au
centre, le mongol (en violet), autre langue altaïque, compte près de 8,5
millions de locuteurs en 2020 soit bien davantage que la population de la
Mongolie voisine avec ses 3,3 millions d’habitants. Puis, tout à l’est, au
Jilin, la préfecture autonome de Yanbian correspond à un ancien royaume de
culture coréenne, tombé au X° siècle sous les coups des tribus mandchoues. L’ethnie
coréenne (en rouge sur la carte) compte 2,8 millions de personnes en 2020.
Dans
le Sud de la Chine, la diversité linguistique est encore plus prononcée. Trois
grands groupes de langue s’y mêlent, le groupe tibéto-birman, le groupe tai
kadai et le groupe (ou la famille) miao-yao encore dénommée Hmong Mien. Sans
entrer dans les débats des linguistes qui rattachent ou non ces groupes à une grande
famille sino-tibétaine, on note le contraste entre une aire (en bleu sur la
carte) de langues tibétaines et l’enchevêtrement qui prévaut au Yunnan, au
Guizhou et dans la région autonome Zhuang du Guangxi.
Les
8,5 millions de tibétains (recensement 2020) qui vivent au Tibet et dans les
provinces du Qinghai, du Yunnan du Sichuan pratiquent trois langues incompréhensibles
entre elles : au Qinghai et au Gansu, l’amdo (en 1 sur la carte) au Sud du
Qinghai et au Nord du Tibet, le kham (en 2 sur la carte) et enfin la langue de
Lhassa.
Au Yunnan, au Guizhou et dans la région autonome Zhuang du Guangxi, le relief montagneux a créé des isolats qui forment un véritable kaléidoscope linguistique. Les peuples les plus nombreux sont les Zhuang, première des minorités nationales avec 19,7 millions de personnes en 2020. Les Zhuang parlent une langue du groupe tai-kadai tout comme les Buyi (5,6 millions en 2020) ou les Dong (près de 3 millions en 2010). Les Miao (11,3 millions en 2020) eux, parlent une langue rare, classée dans la famille hmong mien tout comme la langue des Yao (2,6 millions en 2010). Enfin, les langues tibéto-birmanes représentent d’importantes communautés : celle des Yi (10 millions de personnes en 2020), des Tujias (8,5 millions en 2020 ) auxquels on pourrait ajouter les Bai (1,9 million en 2010 ) et les Hani (1,4 million en 2010)
Repas
de fête dans un village Dong – Région autonome zhuang du Guanxi – Photo AFCPS
La
diversité linguistique est donc importante en périphérie de la Chine mais elle
n’est pas absente des plaines centrales. LE « chinois », il
faudrait dire, comme on le fait en Chine « la langue han » ( han yu 汉
语),
ça n’existe pas.
3
– Les langues « chinoises » ou sinitiques
On
parle ce que nous appelons le « chinois » à l’intérieur d’un triangle
dont la base s’appuie sur le littoral pacifique et dont la pointe s’ancre sur
la Route de la soie. A l’intérieur de cette vaste zone (la base correspond à la
distance Oslo-Rome et l’axe à Londres-Varsovie), les Occidentaux ont coutume de
distinguer des « dialectes » chinois. Mais il en résulte un malentendu. Car il ne s’agit pas de variations
comparables à celles qui prévalent entre, par exemple, le français de France et
celui du Québec. Les différences entre « dialectes » chinois sont
plus importantes que celles qui existent entre deux langues du groupe des
langues germaniques occidentales, l’allemand et l’anglais, ou bien, pour
prendre un autre groupe, entre le français et l'espagnol. Nous parlerons donc
de langues chinoises. Et on en compte au moins sept, toujours vivantes.
La
plus répandue, avec plus de 850 millions de locuteurs, est, bien sûr, ce que
nous appelons le mandarin, la « langue des fonctionnaires ». Pour les
Chinois, c’est le guānhuà (官 话)
ou la langue du Nord (běifānghuà 北
方话
). Elle connaît toutefois
d’importantes variations locales et on peut distinguer un mandarin du nord
(1a) ; d’un mandarin de l’Est, dans l’Anhui notamment (1b) et d’un
mandarin du Sud Ouest (1c) au Sichuan par exemple.
Le
cantonais (yue) qu’on parle aussi à Macao et Hong Kong est très connu en
Occident mais la deuxième langue sinitique la plus parlée est le wu, la langue
de Shanghai et de sa région (environ 90 millions de locuteurs contre 70 pour le
cantonais). Viennent ensuite les langues du Fujian (province maritime qui fait
face à Taïwan) et du Jiangxi, le gan (20 millions de locuteurs) le Hakka (30
millions) et le min (70 millions) Le Sichuan et le Hunan voisin, pour leur
part, sont la terre du xiang (35 millions de locuteurs), la langue maternelle
de Mao. Chacune de ces grandes langues
connaît en outre des variations locales qui peuvent rendre délicate la
communication entre deux personnes, un peu comme entre deux anglophones qui
viendraient, l’un du Milwaukee et l’autre de Calcutta.
Nanxi
– Village Hakka - Fujian Photo AFCPS
La
Chine des Han est donc une tour de Babel et c’est le produit d’une histoire
très différente de la nôtre. Le ou les chinois qui se parlent aujourd’hui
trouvent leur origine dans un chinois dit archaïque dont les plus anciennes
traces conservées datent de plus de 1000 ans avant JC. C’est un peu, en quelque
sorte, comme si nous parlions aujourd’hui un français dérivé de la langue des
peuples gaulois, installés en Europe au II° millénaire avant JC. Mais, hormis
en Bretagne, nous avons perdu le lien avec le monde celtique, la romanisation
est passée par là. La Chine n’a pas connu cette rupture radicale. Il y a, en
dépit des drames et des conquêtes, une profonde continuité dans son histoire.
Les langues chinoises ont évolué à partir d’un patrimoine commun.
Celui-ci
suffit-il à se comprendre ? A l’oral, non bien sûr. C’est pourquoi depuis
la fondation de la République populaire de Chine, l’Etat s’efforce de déployer
une « langue commune » ou comme le dit la constitution une « langue
standard » dont « l’Etat généralise l’emploi … dans tout le
pays » (article 19).
4
– La langue standard ou langue commune
Dès
la proclamation de la République, la création d’une langue standard, compréhensible
partout en Chine, figurait parmi les objectifs essentiels. En 1912 et 1913, des
travaux érudits ont alors été engagés par une Commission pour l’unification
de la prononciation qui reprenait des tentatives déjà menées par les
empereurs mandchous. Mais il faudra attendre les années 1950 pour aboutir
avec l’apparition d’une langue orale officielle, le pǔtōnghuà (普通话),
soit la langue commune.
Normalisé
en 1956, cette langue standard repose sur les parlers mandarins du Nord,
l’accent régional le plus proche étant non pas celui de Pékin mais celui de
Harbin, la capitale du Heilongjiang (Nord de la Mandchourie). En octobre 2000,
la loi sur la langue et l’écriture communes nationales a renforcé le poids du
putonghua dont la maîtrise s’impose désormais dans l’administration et dans toutes
les manifestations publiques, administratives ou culturelles. On peut mesurer
le chemin parcouru en songeant que le président Mao, quand il a proclamé la
République populaire de Chine le 1er octobre 1949 à Pékin,
s’exprimait essentiellement dans sa langue natale, le xiang.
C’est
bien sûr le putonghua qui est utilisé dans les cours de chinois pour étrangers.
En Chine même, c’est aussi la langue de l’enseignement, dès le primaire dans
les régions « han » à partir du secondaire ou, au plus tard du
supérieur, dans les régions autonomes. Sa diffusion repose également sur les
médias, la télévision, la radio, le cinéma.
La
promotion de cette langue conduira-t-elle, peu à peu, à la disparition des
langues parlées au Sud du Yangtse (que
les Chinois appellent Chángjiāng长 江 le long fleuve) ? Ce n’est pas certain.
Le putonghua est une langue de la vie publique ; en famille, plus
généralement en privé, parfois même en entreprise, on continue d’utiliser la
langue locale.
De
fait, l’usage des « dialectes », dans la rue, en famille, fait des
Chinois du Sud des bilingues – et souvent désormais, des trilingues, dès lors
que l’enseignement généralise l’étude de l’anglais. Ce multilinguisme
traditionnel des Han – et pas seulement des minorités nationales – pourrait
constituer un avantage précieux ; il se double d’une culture de l’écrit très
particulière dans la mesure où le système traditionnel est compréhensible par
tous les locuteurs « sinitiques ».
A
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