Wushu (  ) : LES ARTS MARTIAUX CHINOIS

Jusqu’au 16 janvier, à Paris, le musée du quai Branly – Jacques Chirac présente l’exposition « Ultime combat », consacrée aux arts martiaux asiatiques. A cette occasion, nous vous proposons un point de vue sur les arts martiaux chinois qui font l’objet de bien des débats et interprétations.  Et c’est tout à fait compréhensible car les Chinois disent volontiers que les arts martiaux wushu ( ) en langage contemporain, comptent des centaines de disciplines.

 

1 – Le noble, le lettré et le soldat

Dans la Chine antique (-1500 à-200 – voir notre rubrique histoire), le seigneur et ses soldats ne combattaient pas au corps à corps, comme les Grecs. Ils affectionnaient l’arc. Les flèches étaient tirées d’un char qui, outre l’archer et le conducteur comptait un soldat muni d’une hallebarde et chargé de repousser les éventuels attaquants.

Plus tard, les Chinois adoptèrent la technique du tir à cheval, celle qu’utilisaient les « barbares » nomades qu’ils combattaient. Les fantassins, eux, tiraient à l’arbalète dont le mécanisme a été inventé vers -600 avt JC. Ultérieurement s’y est ajouté l’usage des armes, dont le sabre et l’épée mais sans que ceux-ci ne prennent jamais la place qu’ils ont occupée dans la France d’Ancien Régime.

Char de combat   tombeau de Qin Shi Huang Di  -  Xian  Photo AFCPS

 

Le tir à l’arc était donc une discipline majeure dans l’Antiquité et a continué à faire partie de l’éducation lettrée. Le tir s’exécutait en musique, suivant un rythme très codifié et Confucius lui-même y excellait, dit-on.

Dans le même temps, pour le combat mais aussi pour l’entraînement physique, le soldat se formait à la lutte qu’on appelait shou bo ( ) puis jiaodi (   ). Shoubo et jiaodi étaient appréciés à la cour de l’empereur. Depuis les Tang (époque de Charlemagne), la lutte donnait lieu à des compétitions ainsi qu’à des combats chorégraphiés utilisant l’épée, le sabre ou l’éventail. Cette tradition ne s’est interrompue que sous les Yuan (les empereurs mongols).  Mais les Ming l’ont remise à l’honneur. Quant aux empereurs mandchous (à partir de Louis XIV jusqu’en 1911), ils en étaient particulièrement friands,

Remis à l’honneur, pour combattre, dans l’entre-deux guerres, par le Guomindang (Kuomintang) avec l’aide d’experts soviétiques formés au sambo (technique mélangeant des traditions de lutte populaire et militaire), le shoubo est devenu le sanshou ( ) ou sanda,  ( ) forme de combat rapproché qui s’apparente à une boxe particulièrement efficace, voire au MMA.  

Mais alors, d’où viennent les arts martiaux chinois que nous connaissons en Occident ?

 

2 – Le moine et le paysan

Dans la Chine ancienne, le village était un monde en lui-même. L’empereur était très loin, son représentant local, le mandarin aussi. La plus petite unité administrative, le xian ou comté (     ) - environ 1400 à partir des Sui (époque de Clovis) - correspondrait, à l’échelle de la France, à un grand arrondissement (sous-préfecture). Pour récolter les impôts, pour entretenir les routes ou les ponts mais aussi pour se défendre, le mandarin se reposait sur la communauté villageoise qui s’auto-administrait mais devait lui rendre des comptes.

Chaque village a ainsi développé son propre système d’auto-défense, contre les rixes entre villageois éventuellement mais aussi contre les brigands. Pour combattre, tout était bon : les poings (quan ), le bâton, les outils agricoles et même les bancs ! Il y avait donc quasi autant de « boxes » traditionnelles que de villages.

Les brigands aussi utilisaient ces techniques. Le grand roman Au bord de l’eau qui raconte l’histoire de 108 brigands proches de notre Robin des Bois, est truffé de scènes de combat. L’opéra traditionnel qui est un spectacle populaire, intégrait également des scènes de combat à son récit.  

Au bord de l’eau -  Manhua (« Manga » traditionnel)  Photo AFCPS

 

Les monastères rencontraient les mêmes difficultés ; eux aussi ont donc développé des techniques d’auto-défense, les plus célèbres étant celles des moines bouddhistes de Shaolin ( ) et des moines taoïstes du mont Wudang (武当山).

Ce savoir populaire ou monastique était très précieux lors des grandes révoltes populaires. C’est pourquoi le pouvoir impérial a, à la fois mis en valeur mais aussi tenté de contrôler la pratique et l’enseignement des arts martiaux. C’est ainsi que le monastère de Shaolin, soupçonné, à juste titre, de soutenir les empereurs Ming déchus, est réputé avoir été détruit par les empereurs mandchous au XVII° siècle.    

A partir de 1840, lorsque ces empereurs se sont révélés incapables de résister aux Occidentaux qui colonisaient de fait la Chine, les « boxes populaires » se sont organisées. Des sociétés secrètes se alors sont créées. La plus célèbre est celle des « Boxers » plus exactement des Poings de justice et de concorde (Yi he quan        - voir notre rubrique Histoire – le siècle des humiliations). C’est sans doute ainsi que beaucoup de ces traditions ont survécu et sont encore transmises.

Deux d’entre elles, kung fu  (gongfu    ) et taichi ( tai ji quan太极  ) se sont particulièrement répandues en Occident ainsi qu’une pratique que les Chinois intègrent dans les arts martiaux, le qigong  (  ). En effet, c’est sa connaissance qui rend les arts martiaux chinois particulièrement efficaces.

 

3 – Le médecin

Depuis la plus haute Antiquité, les Chinois ont développé une médecine traditionnelle notamment fondée sur la connaissance du qi () : souffle ou énergie vitale qui circule le long des méridiens du corps en reliant des points particuliers, ceux qu’utilise l’acupuncture.

Selon la légende, l’Empereur Jaune (Huang  Di     ), le père mythique de la civilisation chinoise serait l’inventeur de cette méthode. Ce qui est certain, c’est que des millénaires d’observation et de pratique ont permis d’accumuler un véritable savoir. 



Mannequin présentant les points d’acupuncture – Exposition Ultime Combat Photo AFCPS

 

Pour favoriser la circulation de ce qi et ainsi prévenir l’apparition des maladies, une « gymnastique » particulière était pratiquée. On a ainsi découvert à Mawangdui ( 马王堆) près de Changsha, la capitale du Hunan, parmi d’autres pièces exceptionnelles, une « bannière » représentant des mouvements et datant du début des Han (environ -190 avt JC).

Bien évidemment, les taoïstes qui recherchent non pas l’immortalité comme on le dit souvent mais une longue vie en bonne santé se sont particulièrement intéressés à ces pratiques et les ont diversifiées. Mais ils ne sont pas les seuls. Pour favoriser la concentration des moines, très tôt les monastères bouddhistes eux aussi ont adopté ce qui ne s’appelait pas encore le qigong. Observant ses bienfaits, beaucoup de commandants militaires l’ont également intégré à la formation des soldats. La pratique s’est ainsi diffusée dans la population et jusque dans les villages reculés et a nourri les pratiques d’arts martiaux existants.

Gongfu  ( kungfu taijiquan (taichi ) qigong (气功 ) sont donc les formes modernes de pratiques très anciennes, mélangeant différents héritages et développées dans le courant du 19e siècle pour les deux premiers, à dater de 1949 pour le dernier.

 

4 – Quelques mots sur l’apparition des formes modernes

Il est frappant de constater que les formes modernes connues en Occident, le qigong, le kungfu et le taichi sont nées quasi dans le même périmètre, celui de la Chine du Nord et du Fleuve Jaune


a)     Le kungfu  

C’est sans doute la plus efficace des « boxes » mais il est difficile de retracer son histoire car elle s’entoure de nombreuses légendes, popularisées en Occident par le cinéma de Hong Kong (La 36eme chambre de Shaolin par exemple ). Ce qui est certain, c’est qu’à la fin du V° siècle ap JC, c’est-à-dire sous les Wei du Nord, à une époque de grande diffusion du bouddhisme, un prédicateur venant d’Inde a créé un monastère baptisé Shaolin  ( )  dans les monts Song ( ) , au Henan, sur la rive droite du Fleuve Jaune.   

Les monts Song sont l’une des cinq montagnes sacrées de Chine correspondant aux cinq points cardinaux (le centre est un point cardinal en Chine) ; des monastères taoïstes côtoient celui de Shaolin. Au début du VI ° siècle, un autre moine venu d’Inde qui sera connu sous le nom de Boddhidarma  ( ) arrive à Shaolin. Les légendes en font à la fois l’inventeur du kungfu et l’un des premiers théoriciens du bouddhisme chan ( )  connu en Occident sous son nom japonais : zen. Mais les historiens contestent les deux points.

Par contre, les mêmes historiens constatent l’existence d’une « boxe » efficace à Shaolin dès la fin des Tang et sous les Sui (époque de Clovis) où les moines aident le pouvoir impérial à vaincre un général rebelle. Par la suite, le monastère fut agrandi et détruit plusieurs fois, notamment au moment de la succession Ming/Qing (époque de Louis XIV). L’histoire du kungfu et le cinéma ont propagé l’histoire d’une dernière destruction, qui aurait été ordonnée au XVIII° siècle par un empereur mandchou (Le temple de Shaolin). Cinq moines rescapés auraient alors transmis secrètement l’enseignement.

Reconstruit vers 1800, le temple a été quasi entièrement brûlé par le Guomindang (Kuomintang) en 1928 puis a subi les destructions de la Révolution culturelle. La renaissance de Shaolin doit beaucoup aux dons des pratiquants d’arts martiaux du monde entier ; ils ont permis la réouverture du temple et de son enseignement martial en 1981.

b)     Le taijiquan

On peut considérer que la naissance du taichi tient à la rencontre géniale entre une « boxe » traditionnelle villageoise et l’utilisation de certaines techniques de ce qui deviendra le « qi gong ». La recherche du relâchement et le développement des sensations internes permet une coordination et une « unification » du corps. On doit cette invention à un villageois du Henan, la région au Sud de Pékin qui se trouve au cœur de la Chine traditionnelle.

C’est donc à Chenjiagou ( littéralement : Ravin de la famille Chen) qu’au milieu du 17° siècle, c’est-à-dire au début de règne des empereurs mandchous, Chen Wang Ting (  ) crée le taichi. Pendant deux siècles, le taichi reste dans la famille et dans le village.

Mais, au début du 19° siècle, l’un des descendants de Chen Wang Ting,  Chen Chang Xing  (    ) accepte de l’enseigner à un serviteur venant du Hebei (la région voisine et qui entoure Pékin).  Yang Lu Chan (   ) est particulièrement doué ; bientôt, il créé son propre style, le style Yang  ( )  issu du style Chen  ( ) qu’il a appris.

Yang Lu Chan à son tour forme des élèves dont

-        Wu Jian Quan (    )     qui, à son tour  va créer  son propre style, le style Wu  (   

-        Wu Yu Xiang  (    ) qui crée également son propre style, le souvent dénommé wuhao en Occident pour éviter la confusion entre   et  qui, en chinois, s’écrivent et se prononcent différemment : wu 2eme ton et wu 3eme ton. Wu Yu Xiang  forme un élève

o       Sun Lu Tang  (    ) qui, lui aussi, crée son propre style, le (style Sun)

A partir du début du XX° siècle, les quatre écoles Yang, Wu, Wuhao et Sun étaient relativement connues dans les milieux pékinois tandis que le style Chen restait essentiellement cantonné à Chenjiagou. Puis à partir des années 1960, l’émigration d’élèves aux Etats Unis et en Europe assura la diffusion en Occident, notamment pour l’école Yang. Interdit pendant les années de la Révolution culturelle, le taichi a été remis à l’honneur au début des années 1980. C’est alors qu’il a commencé à être pratiqué en ville dans les parcs et jardins.  

Si vous voulez en savoir davantage, consultez les articles très détaillés du site

https://www.tai-chi-lyon.fr/

 

c)     le qigong

En 1947, en plein conflit avec le Guomindang, un cadre du PCC, Liu Guizhen, originaire du Hebei tombe gravement malade. Son oncle, Liu Duzhou, maître taoïste lui fait pratiquer régulièrement des exercices. Liu Guizhen guérit. Le PCC le charge d’une mission d’analyses avec l’appui d’un groupe de chercheurs. Au printemps 1949, avant donc la proclamation de la République populaire de Chine, devant les résultats positifs obtenus, la nouvelle méthode est baptisée qi gong.

Le qi gong est vivement encouragé par le PCC. Un important centre de recherche est créé à Beidahe, sur le littoral du Hebei. Le qi gong s’apprend là ainsi que dans d’autres institutions, créées sur ce modèle dans toute la Chine. Mais, avec la Révolution culturelle (1964 -1970), tout change. Le qi gong est interdit, les enseignants pourchassés. Une femme, Guo Lin, artiste peintre atteinte d’un cancer et aidée par sa pratique du qigong, parvient toutefois à maintenir la tradition en enseignant dans les parcs et jardins.  A partir de 1970, cette autre façon de pratiquer se répand de plus en plus. Dans les années 80, c’est une véritable vague qui se répand non sans exclure des phénomènes de sectes ou d’opposition politique au régime (Falungong). On assiste alors à une reprise en main plus encadrée de la pratique.

Si vous voulez en savoir davantage, allez consulter l’excellent article historique de l’association Yi Quan Yvelines et Oxalis :

http://www.yiquan78.org/historeqigong.htm









Commentaires

Posts les plus consultés de ce blog