LE « MANDARIN » : UNE LANGUE PARTICULIERE

 

Pour moi, c’est du chinois ! Nous nous exclamons ainsi quand nous ne saisissons pas les propos de notre interlocuteur. Et il est vrai que parler chinois, c’est entrer dans un univers sonore et une organisation du discours sans rapport avec ce qui gouverne les langues occidentales, indo-européennes en général et française en particulier. Pour y voir un peu plus clair, il faut commencer par comprendre comment on transcrit ces sons en système alphabétique.

 

1 – La transcription

Les sons du chinois, comme tous les sons des langues humaines, peuvent être représentés dans un système alphabétique. C’est même le but de l’alphabet phonétique international qui a vocation à pouvoir transcrire toutes les langues du monde. Mais, hormis les linguistes et les ténors ou cantatrices, peu nombreux sont ceux qui en maîtrisent l’usage. La transcription du chinois fait donc appel à d’autres systèmes.

Tous les voyageurs qui découvraient la Chine et souhaitaient raconter leur expérience, à commencer par Marco Polo, ont inventé un moyen de retranscrire les noms qui ont entendu, noms de lieux, noms de personnes ou bien noms d’objets ou d’aliments courants, inconnus en Occident comme le thé. Lorsque les jésuites se sont installés à Pékin au début du XVII° siècle, ils ont repris ces travaux tout en rédigeant les premiers dictionnaires et manuels d’apprentissage du chinois.

Dans la deuxième moitié du XIX° siècle, au temps du « Siècle des humiliations » (voir rubrique Histoire) leurs sinologues des puissances occidentales qui colonisaient la Chine ont construit différents systèmes de transcription. Il en existait un par nation ou plutôt par langue occidentale, de façon à mieux adapter la prononciation. Les Américains utilisaient le Yale, les Allemands le Lessing-Othmer, les Italiens le Borone-Alegra … Peu à peu, deux systèmes concurrents se sont imposés : celui des sinologues britanniques Wade-Giles auxquels le Yale américain s’est rallié et le système français de l’EFEO (Ecole française d’extrême Orient).

Au début du XX° siècle, dans un mouvement lié à l’esprit du 5 mai (voir rubrique Histoire) des intellectuels chinois ont inventé un système alphabétique le « Bopomofo » (du nom de ses 4 premières lettres, b, p, m, f) toujours en usage à Taïwan. Ils espéraient ainsi se libérer des caractères chinois et faciliter l’apprentissage de la lecture. Mais le bopomofo n’a jamais vraiment rencontré de succès.

Après la proclamation de la République populaire de Chine, en 1949, l’invention d’un système de transcription a été considéré comme une tâche majeure. Il s’agissait d’affirmer la souveraineté chinoise, de ne plus laisser transcrire le chinois par des étrangers. Après de longs travaux, le 11 février 1958, l’Assemblée populaire nationale de la République populaire de Chine a approuvé le projet présenté. Le système a été baptisé « pinyin », un mot composé qui signifie épeler ( ) ; il est devenu le système officiel, en vigueur en Chine et de plus en plus utilisé dans le monde. En effet, il a été approuvé par l’Organisation internationale de normalisation, plus connue sous son sigle : ISO. 

Evidemment, les ouvrages anciens et certains auteurs continuent d’utiliser les systèmes occidentaux et il n’est pas toujours évident de faire le lien. Ainsi, la capitale de la province chinoise du Shaanxi, célèbre pour ses armées de guerriers enterrés s’écrira

Xi’an en pinyin,

Hsian en Wade-Giles

et Sian en EFEO… .

Le site suisse www.sinoptic.ch. donne des règles de passage de l’un à l’autre pour ceux qui voudraient s’y retrouver.

 

2 – Utiliser le pinyin

L’anglais s’écrit avec le même alphabet que le français, pourtant, il ne se prononce pas de la même façon ! Cela nous paraît évident et, bien sûr, cela vaut aussi pour le pinyin.

Il n’est pas question ici de donner un cours de prononciation. Il existe pour cela d’excellents manuels et méthodes. Et des enseignants ! Mais sans apprendre le chinois, il est possible de laisser une chance à un interlocuteur chinois de comprendre quel est le nom propre que l’on prononce en évitant quelques pièges.

-        Pour les consonnes :

o   C se prononce « ts » et Ch « tch »,

o   H, c’est le jota espagnol ou le « ch » allemand,

o   J se prononce comme le t français de « tienne »

o   et Q de la même façon mais aspirée,

o   pour le R, le plus simple est d’en faire un J,

o   on peut assimiler « X » et «  ss »  

o   enfin Z se prononce « dz » et Zh «dj » comme dans Johny 

-        Pour les voyelles et les diphtongues :

o   U se prononce « ou » comme dans « loup » mais avec tréma, c’est notre « u »

o   OU se prononce comme dans le mot anglais « low » ;

o    IAN se dit « ienn »

o    on ne prononce jamais le « g » final (ang, eng ing etc ..) ; il sert seulement à indiquer que le son est nasal 

o   Après c, ch, r, s, z et zh « I » se prononce « E »

-        Des « règles d’orthographe » compliquent le système :

o   I ne peut pas être la première lettre d’un mot, il faut lui ajouter un « Y » qui ne se prononce pas ; « Yi » c’est « i » en français 

o   U,(le « ou » français)  lui non plus ne peut pas être la première lettre d’un mot ; il faut lui mettre un « W » devant, qui ne se prononce pas ; mais si c’est le « U » avec tréma, la lettre à ajouter est un « Y » qu’on ne prononce pas

 

Si l’on suit ces quelques indications, le nom du président chinois, Xi Jin Ping se prononce à peu près : Si tin pin(nasalisé). C’est assez différent de ce que l’on entend depuis plus de dix ans dans les médias occidentaux …. Quant à « Beijing » (Pékin en EFEO), cela donne à peu près « Bé-i-tin(nasalisé) »  

Certes, celui qui fait ces quelques efforts n’est pas nécessairement récompensé. Car un son chinois, ce n’est pas seulement une prononciation correcte des voyelles et des consonnes, c’est aussi le respect des tons, indispensable pour un sinophone.

 

3 – Le mystère des tons

Le chinois est une langue tonale.  C’est-à-dire une langue où les mots ne sont pas seulement formés par l’assemblage de voyelles et de consonnes ; ils sont aussi caractérisés par une certaine mélodie de la voix, comme lorsqu’on chante.

Ce système, s’il nous paraît étrange, n’en est pas moins fort répandu. La plupart des langues du monde, 60 à 70% sont des langues tonales. Elles se trouvent en Asie du Sud-Est : chinois, thaï, birman ou vietnamien, en Amérique du Nord (les langues apaches, dont le navajo et les langues amérindiennes du Canada), en Amérique du Sud (langues maya et langues améribdiennes du Mexique) mais aussi et surtout en Afrique subsaharienne.

En fait, ce sont les langues indo-européennes, donc les langues occidentales, non tonales, qui font exception. Les linguistes les qualifient de langues « rythmiques », c’est-à-dire de langues où les mots sont généralement constitués de plusieurs syllabes, l’une d’entre elles (deux parfois) étant accentuée. L’anglais, l’allemand, en constituent de bons exemples. Et le français ? Le français constitue un cas d’exception : la langue n’est pas tonale mais elle n’est pas non plus rythmique. Faut-il y voir une des raisons des difficultés d’apprentissage des langues étrangères dont souffrent, dit-on, les francophones ?  Si cela est vrai, l’apprentissage du chinois constitue une thérapie radicale dont les bienfaits se répercutent dans le maniement d’autres langues. L’étude du chinois possède d’autres vertus, liées à la structure de la langue.    

Compliqué ? Oui et non. Car des tons, en français, il en existe ! Et nous les utilisons chaque jour. Le français, particulièrement le français populaire, en joue beaucoup. Comme l’indique si justement un des meilleurs spécialistes français de la langue chinoise, Joël Bellassen, on peut dire « il pleut » de bien des façons. Ainsi, on peut utiliser :

·       un accent de désespoir : c’est  le ton « descendant » du chinois (n°4 en pinyin, codé  \  )

·       une note de surprise, d’interrogation : le ton « montant »  (n°2, codé  / )

·        un sentiment d’incertitude : le ton « descendant-remontant » (N°3 codé  ̌ )

·       la diction parfaite et lente d’un comédien qui sait faire porter sa voix au loin  et, pour ce faire, rehausse le ton et prolonge le mot : c’est le ton « plat » (n°1, codé  - )

·       enfin, la mention brève, courte, non accentuée : c’est l’absence de ton qui caractérise certains mots.   

La différence entre ces « tons » français et les tons chinois c’est qu’en français, le « ton » ne porte que sur un mot en fin de la phrase. En chinois, le ton concerne chaque syllabe.

On pourrait dire chaque mot car le chinois est une langue « monosyllabique ». C’’est à dire qu’un mot correspond à une syllabe ; une syllabe constitue un mot. Bien évidemment, il existe, et de plus en plus, de nombreux « mots composés », c’est-à-dire des mots formés de deux, voire trois et même quatre syllabes. Mais chacune des syllabes forme – ou a formé, autrefois – un mot signifiant. 

Dans une langue ainsi construite, le ton prend beaucoup d’importance. Ainsi, maǐ (3eme ton) signifie acheter mais maì (4eme ton) veut dire vendre ! On pourrait multiplier les exemples ; la plupart des syllabes présentes en chinois existent sous les quatre tons auxquels peut s’ajouter l’absence de ton. Et à chaque fois, le sens est différent. Il est donc très utile, lorsqu’on utilise le pinyin, d’indiquer le ton en utilisant les symboles appropriés ou les numéros.  

Toutefois, cela peut ne pas suffire pas à lever les ambiguïtés du discours. En effet, si le mot est, fondamentalement, syllabaire, le nombre de combinaisons possibles de consonnes (ou initiales) et de voyelles (ou finales) pouvant former une syllabe est réduit, même en utilisant les tons. Par conséquent, les homophones sont fréquents (des homophones sont des mots qui se prononcent de la même façon : saut, sot, sceau et seau, par exemple). Ainsi « yang » au 2° ton correspond à de nombreux mots différents : le yang du yin, le mouton, l’oc »an, le peuplier etc…

Généralement, le contexte permet de comprendre. Mais pas toujours. C’est une des raisons de l’attachement des Chinois à leur système d’écriture où tout se différencie clairement : notre yang 2eme ton y devient en effet :

 : le yang du yin

 : le mouton

 : l’océan

 : le peuplier

 4 – Une langue à la logique bien particulière

Le chinois représente, avec le vietnamien, autre langue tonale, le principal exemple des langues dites « isolantes ». Ce terme désigne un système où le mot ne varie pas.

Autrement dit, en chinois, il n’y a pas de signe qui, comme notre « s », marque la différence entre singulier et pluriel en modifiant le nom ; c’est le contexte qui permet de faire la différence (à défaut l’ajout d’un autre mot). De même, il n’y a pas de « e » pour différencier les genres. Pour les êtres vivants, le sexe n’est précisé que si c’est utile par l’adjonction au nom de la mention « masculin » ou « féminin ». Bien évidemment, une telle construction ne laisse aucune place aux déclinaisons qui font souffrir les débutants en grec, latin, allemand, russe etc ..  Et il n’y a pas d’articles.

Les règles d’utilisation des verbes sont tout aussi magnanimes : pas de conjugaison, pas de temps, pas de mode. Le pronom et, s’il le faut, une indication du moment suffisent. « J’irai demain à Paris» se dit donc, en mot à mot :   moi demain aller Paris (wǒ míngtiān qù Bali ou  明天 ).

Faut-il en conclure que le chinois est une langue simple ? Certainement pas ! Pour entrer dans le discours chinois, il faut sortir de nos catégories. Pour qu’ils soient compris d’un lecteur francophone non sinisant, les exemples qui précèdent ont été présentés en employant les termes de « nom » et de « verbe ». Mais ces catégories proviennent des grammaires occidentales. La distinction, en chinois, peut se faire ; elle n’est pas nécessairement la plus efficiente pour qui cherche à comprendre la langue.

De fait, un mot chinois n’a généralement pas de nature grammaticale fixe et unique. Prenons un exemple : Shàng  (  ) est un verbe qui signifie : monter, grimper (à tous les temps, tous les modes et toutes les personnes) mais ce peut être aussi ce qui, en français correspondrait à une préposition signifiant « au-dessus, en haut ». Ainsi Shanghai veut dire : au-dessus de la mer. C’est la place dans la phrase qui permet de faire la différence. Un mot chinois ouvre donc un champ sémantique et, en quelque sorte, se voit conférer une nature ou un rôle grammatical en fonction de sa place dans la phrase. Cette plasticité de la langue prend tout son sens dans la poésie.

Une seconde particularité de la langue chinoise offre d’autres possibilités d’expression qui nous sont inconnues. Il s’agit des verbes « doubles », verbe d’action pour le premier, verbe de « résultat » pour le second. Cet outil, très utilisé dans la langue courante, permet des raccourcis fulgurants que nous avons bien du mal à traduire. Le grand sinologue Jean François Billeter donne cet exemple : ba si ren shuo huo le littéralement : à propos des morts parler avec le résultat qu’ils sont vivants, ce que nous pouvons traduire par : rendre la vie aux morts.  « Les gestes du chinois » petit ouvrage très court mais très dense de Jean François Billeter constituent sans doute la meilleure des introductions aux subtilités de la langue chinoise.  

De fait, même les expressions les plus simples, en chinois, se formulent différemment de ce qui nous vient à l’esprit. Celui qui commence l’apprentissage d’une langue étrangère débute généralement avec deux mots, indispensables à nos yeux d’occidentaux : oui et non. Ils n’existent pas en chinois. On répond à une question en répétant le verbe ou en le niant. Par exemple  : es-tu occupé ? (nǐ  máng ma ? ( toi (être) occupé interrogation ?     ? ) On répondra : máng : ((être) occupé, )  c’est-à-dire oui ou : bù máng  (pas (être) occupé,  不忙  )  c’est-à-dire non .

La langue chinoise nous entraîne donc à nous exprimer autrement, voire à penser différemment. 

 

 

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