QING MING JIE, LA FETE DES MORTS

 

Qing Ming, c’est la Toussaint chinoise. On traduit généralement le terme par « Pure Lumière ». La fête a lieu 15 jours après l’équinoxe de printemps, soit cette année, le 5 avril.  C’est la seule des quatre grandes fêtes traditionnelles à se fonder sur le calendrier solaire (voir notre article). Depuis 2008, la journée est fériée en Chine continentale.


1 – Le rituel

On appelle souvent Qing Ming la fête du nettoyage des tombes. Autrefois, on enterrait les morts loin du village, dans un endroit soigneusement choisi selon les règles du feng shui ( )  de façon à ce que le mort bénéficie d’un environnement favorable. On trouve encore dans les campagnes ces anciennes tombes isolées. Une fois par an, les proches faisaient l’excursion jusqu’à la tombe, désherbaient, honoraient le mort par des offrandes et le tenait au courant des affaires de la famille en pique niquant en sa compagnie.

Zhaji Anhui Photo AFCPS

 

Dans les villages chinois, on trouve aussi de vieux cimetières, avec des pierres tombales assez imposantes (voir la photo en tête de l’article). Elles sont lavées et brossées le jour de Qing Ming, avant qu’on ne remette les offrandes.

Mais aujourd’hui, en ville, avec la densité de population, la tombe devient un grand luxe : à Shanghai ou à Pékin, le prix du m2 de concession dans les cimetières atteint presque le prix du m2 de certains appartements ! Devant la demande, les autorités locales poussent donc à enterrer plusieurs corps dans le même caveau, comme on le fait en Occident ; elles réduisent également la taille des concessions et ont même autorisé l’ouverture de cimetières privés, à plusieurs dizaines de kilomètres du centre des grandes villes.

Surtout, les autorités poussent à l’incinération. Pour convaincre d’y recourir, les columbariums ont adapté leurs pratiques : les urnes sont conservées dans de très grandes armoires et, au moment de Qing Ming, les familles peuvent venir chercher leur urne et fêter ainsi Qing Ming à la maison ou dehors.

Mais ces aménagements ne suffisent pas toujours à convaincre tous les Chinois qui, dans plusieurs régions, traditionnellement, préfèrent enterrer leurs morts.

 

2 – Les  offrandes

Dans la religion populaire (voir l’article), on s’imaginait le monde des morts comme un décalque du monde des vivants.  Honorer le mort, c’était donc, dans cet esprit, lui procurer tout ce dont il pouvait avoir besoin dans cet autre monde, nourritures, boissons mais aussi vêtements, meubles, bijoux et même argent. En échange, le mort continuait d’apporter sa protection à la famille.

Les offrandes aux morts constituaient donc un moment essentiel. Elles comprenaient un repas, que les proches se partageaient après avoir laissé le mort humer les parfums. Pour les mandarins et les classes aisées on ajoutait de petites figurines en bois ou en terre cuite, représentant des serviteurs, des chevaux, des vêtements. Les familles pauvres, elles, faisaient réaliser ces figurines en papier qu’on brûlait sur la tombe. Peu à peu, l’usage s’est généralisé à tous, la croyance étant que la fumée est le meilleur vecteur de communication entre le monde des vivants et le monde des morts.

L’arrivée du bouddhisme n’a pas radicalement modifié cette vision des choses ; au contraire, en un sens il l’a renforcée. En effet, le bouddhisme a apporté l’idée d’un Jugement des Morts, jugement qui détermine les modalités de la réincarnation. Dans le laps de temps qui la précède, le mort a besoin de tout ! Et il a particulièrement besoin d’argent, cet argent des morts qui pourrait rendre plus compréhensifs les Juges ou les bourreaux des Enfers… Brûler la monnaie de papier sur la tombe est donc devenu la pratique la plus fréquente.

Fabrication d’offrandes funéraires dans un temple bouddhiste. Jiu Hua Shan Anhui

A Taïwan, la pratique des offrandes funéraires en papier a donné lieu à un artisanat de luxe : on fabrique à demande le dernier modèle d’Iphone, des voitures de luxe, des demeures de rêve comme l’a montré l’exposition de 2019 au Musée Jacques Chirac. En Europe, plusieurs sites en proposent désormais. 


En Chine continentale aujourd’hui, c’est à la campagne que la tradition des offrandes en papier demeure vive même si brûler du papier monnaie est en principe interdit depuis 2019. En ville, l’essentiel de la cérémonie repose sur l’idée de partager un moment avec le défunt.

Ce peut être autour d’une urne rapatriée pour l’occasion du colombarium mais la plupart des familles choisissent surtout de se rendre dans la nature ou à tout le moins dans un parc que le défunt appréciait. Une autre coutume de la Haute Antiquité, a l’origine étrangère à Qing Ming, est généralement respectée à cette occasion, c’est celle du « manger froid ».

 

3 – La tradition du manger froid ( ) et la branche de saule

A l’origine, la pratique était respectée pendant l’hiver ; elle durait parfois plusieurs jours et pouvait être très rigoureuse : non seulement on mangeait froid mais aussi on ne pouvait allumer de feu. C’est sous les Royaumes combattants (environ -400 avt JC) que ce rite a été déplacé lors de Qing Ming. Aujourd’hui, l’interdiction d’allumer le feu a disparu, seule subsiste l’habitude de manger froid.

Il s’agissait d’honorer ainsi la mémoire d’un ancien ministre du duc de Wen du royaume de Jin, pendant la période des Printemps et Automnes où vécut Confucius ( environ -700 à -500 avt JC). Victime d’un complot, le duc de Wen avait été chassé de la cour de son père et obligé de se cacher loin de tout. Quelques uns l’avaient accompagné dans sa fuite, dont son fidèle Jie Zi Tui ( 介子推). Privé de tout, le duc était quasi mort de faim quand son fidèle conseiller décida de se couper une jambe pour lui donner à manger. Mais quand le duc, une fois le complot déjoué, retrouva tous ses droits et monta sur le trône, il oublia bien vite son vieux conseiller.

Le temps passa et le souvenir du sacrifice du ministre vint hanter le roi Wen de Jin. Il fit alors rechercher Jie Zi Tui et apprit que choqué par l’ingratitude il vivait en ermite au fond d’une forêt et ne voulait rencontrer personne. C’est alors que la troupe envoyée à sa rencontre eut une idée tragique : mettre le feu à la forêt pour contraindre Jie Zi Tui à sortir. Mais celui-ci périt dans les flammes. Pris de remords, le roi Wen de Jin ordonna que le jour anniversaire de cette mort, il soit interdit de manger chaud et d’allumer le feu. Et, puisqu’à l’endroit où Jie Zi Tui était mort, un petit saule s’était mis à pousser, on prit aussi l’habitude d’arborer ce jour une branche de saule.  

Lorsque le rite a été transféré à la fête de Qing Ming, il s’est largement développé car il était bien adapté aux circonstances : les branches de saule sont réputées conjurer le mauvais sort et quoi de mieux que de manger froid lors d’un pique-nique ? De plus, ce « manger froid » donnait ses lettres de noblesse à une pratique populaire, celle des crêpes que nous connaissons sous la forme des rouleaux de printemps ou des pâtés impériaux. Les familles pauvres avaient en effet l’habitude d’offrir aux morts des crêpes fourrées de quelques aliments. Désormais, chacun pouvait le faire sans paraître manquer de respect aux morts !

Mais attention, ces crêpes chinoises « chunjuan » (春卷 )  diffèrent des rouleaux vietnamiens : il ne s’agit pas de fines galettes de riz crues ou frites mais de crêpes très semblables aux nôtres, à base de farine de blé et d’œufs. On les fait préalablement cuire puis on farcit et on roule, sans remettre à cuire. C’est en quelque sorte le « sandwich » chinois traditionnel. 


PROCHAINE FETE TRADITIONNELLE : LA FETE DU "DOUBLE CINQ"  LE 3 JUIN 



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